Situé sur le Neretva aux couleurs émeraudes, Mostar est tragiquement célèbre pour avoir cristallisé les folies d’une guerre qui a fait environ 250 000 morts (ou disparus) et déplacée 1,5 million de personnes.
Qu’Ivo Andric me pardonne d’emprunter ce qu’il a écrit sur Sarajevo dans « Le pont sur la Drina » : La ville offrait un échantillon modeste mais éloquent des premiers symptômes d’un mal qui, avec le temps, deviendrait européen, puis mondial, puis universel.
Insupportable symbole de la rencontre entre l’Orient et l’Occident, de l’Islam et du Christianisme, du lien culturel, religieux et ethnique qui reliait les communautés, la ville et son Stari most (le vieux pont) ont essuyé les bombardements méticuleux de l’artillerie croate.
La ville, partagée de part et d’autre du boulevard Alekse Santica, est coupée en deux. A l’est vit la majorité bosno-musulmane ; à l’ouest, la majorité bosno-croate de confession catholique. Le Stari Most est aujourd’hui reconstruit mais il suffit de s’éloigner d’un pas pour ressentir violemment les stigmates d’une guerre qui a laissé la ville éventrée et les murs grêlés d’éclats d’obus. C’est comme si la ville nous présentait deux visages ; Janus de la folie des hommes. A l’est, une communauté musulmane sans ostentation aucune. Pas une trace de barbus, des filles légèrement vêtues et sans voile. De l’autre, un nationalisme qu’on ressent d’emblée avec des drapeaux sans équivoque le long des rues qui martèlent l’idée que cette ville ne devrait être qu’exclusivement croate. Dire que la ville -avant 93- était vantée pour avoir su accueillir des populations mixtes et servir de creuset pour une coexistence pacifique et heureuse entre des Hommes de confessions et d’ethnies différentes. Aujourd’hui, chacun vit de son coté, chacun ignore son voisin faute de pouvoir pardonner ou oublier les exactions commises de part et d’autres. C’est comme si la ville était terrain de compétition. Un minaret d’un coté, une église en face qui emprunte aussi ce symbole phallique et du haut de ses 108 mètres ( !) semble vouloir imposer sa suprématie. Il suffit de lever les yeux pour apercevoir en haut de la montagne une énorme croix qui semble vouloir signifier qu’ici nous sommes en territoire catholique, niant de fait une réalité culturelle et religieuse.
Nous avons violemment ressenti cette ville et son histoire, peut être parce qu’enfin nous avons mis des images sur la souffrance de ceux qui vivent ce qu’on appelle la « balkanisation », qu’on appose désormais à toute région en prise aux communautarismes sectaires. Nous avons violemment ressenti cette ville. Sans doute trop violemment pour pouvoir la vivre avec recul. Aussi, nous avons cherché, pour comprendre ce qui peut l’être dans ce résidu de folie humaine, à donner la parole aux Mostariens. Nous vous proposons le regard d’Almira.
Almira est un délicieux témoignage d’humanité et de sagesse. Un seul de ses regards vaut mille mots et le témoignage qu’elle nous offre est porteur d’espoir et de grandeur d’âme. Paix aux Hommes de courage et de bonté.