L’Asie
centrale. Le cœur du projet Step by Steppe. Nous y sommes enfin après 17000Km
au compteur. Avec pour ambition d’organiser des ateliers photos dans les
endroits les plus inaccessibles, les plus sauvages, les plus hauts. Dans
certaines villes, bien sûr mais surtout avec les populations les plus isolées,
les nomades qui se déplacent au rythme des pâturages et des saisons. La
tentation de poser son imprimante fut grande au Karakalpakstan, en plein
désert. Encore fallait-il trouver des Bonnets noirs, ce peuple d’éleveurs et de
caravanier naguère nomade. L’Ouzbekistan a très tôt été sédentarisé ; le
résidu des aspirations nomades laminées par les grands travaux lancés par
Staline.
C’est donc
un peu par hasard qu’on en vient à trouver des artistes ouzbeks d’origine
tadjiks qui ont aménagé deux cellules d’un caravansérail en galerie photo. Une
galerie pour promouvoir les photographes locaux et la culture ouzbèke, le Bukhara Center for Development of Creative
Photography a également pour ambition de faire émerger de nouveaux artistes
et de développer des programmes éducatifs. Step by Steppe ne pouvait mieux
tomber.
Zilola Saidova, Shavkat Boltaev et Nuritdin Juraev accueillent le projet avec enthousiasme ; eux-mêmes envisagent d’organiser ce type d’exercice. L’histoire du centre est presque banale dans cette région. En 86, le centre exclusivement financé par les Soviets possède une chambre noire et projette des films sur écran. En gagnant leur indépendance en 91, les pays d’Asie centrale perdent toutes leurs subventions. Le centre se retrouve sans moyens du jour en lendemain. Impossible de trouver des rouleaux pour shooter, du révélateur et les produits chimiques pour faire travailler la chambre noire. L’indépendance a un goût amer, mais la liberté de pouvoir choisir ses propres projets les galvanisent. Les fondateurs se tournent vers des ONG et l’Open Society de Soros leur permet d’aménager une galerie, de promouvoir les artistes locaux et de cultiver une certaine liberté d’expression. Cela ne dure qu’un temps. Échaudé par les révolutions colorés, ayant parfaitement intégré les logiques rampantes qui créent des révolutions totalement artificielles, Karimov, actuel président de l’Ouzbekistan, interdit toute coopération avec Soros en 2005 et expulse les ONG douteuses et trop politisés. Depuis, le centre multiplie les initiatives pour pouvoir continuer à créer.
Les
enfants de Bukhara ont un œil. Un regard d’artiste, une sensibilité propre à
ceux qui travaillent leurs arts et baignent dans un univers de création. Fils
de photographes, artistes peintres, spécialistes d’aquarelles ou de miniatures,
ils ont tous une sensibilité créative et une propension naturelle à exprimer
leurs émotions.
Sélectionnés
grâce au concours du Bukhara Center for Development of Creative Photography,
ils ont de loin surpassé leurs homologues parisiens, monténégrins, roumains et
géorgiens par la qualité de leurs images et la sensibilité exprimée.
Leurs
images sont déconcertantes. Ils ont une audace que nous n’avons pas vue
ailleurs. Ils décentrent leurs sujets, trouvent des angles impossibles, n’ont
peur de rien, captent les bonnes lumières. Mieux, ils viendront nous expliquer
avec intelligence et maturité leurs clichés. Pour Nigora qui a fait son
autoportrait dans un miroir déformant, l’apparence n’est qu’un leurre pour ceux
qui vous aiment vraiment. Abdullo quant à lui, nous fera l’apologie de sa ville
la nuit, car elle respire le calme et la beauté. Hofiz, du haut de ses six ans,
choisira son ombre comme autoportrait dans un pays qui n’en manque pas.
La
qualité de leurs photos, leur rapport à l’image et leur volonté profonde de
faire passer un message à ceux qui « regarderont » leurs photos
témoignent d’une profonde maturité et d’une profonde réflexion que le caractère
ludique de l’atelier n’a en rien estompées.
Le
bénéfice en revient également à leurs parents. C’est la première fois que les
parents encadrent autant leurs enfants, les exhortant à réfléchir, à penser
leurs images avant d’appuyer sur le bouton. On nous remercia ainsi très
chaleureusement pour avoir contribué, par un medium qu’ils
n’avaient pas l’habitude de travailler, à
affiner l’oeil d’artiste de leurs enfants.
Nul
doute qu’avec leur talent et leur énergie, ils ont contribué à bonifier
l’expédition Step by Steppe.
Retrouvez leurs photos : album photos Bukhara
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