Quitter l’Ouzbékistan, de la vallée de la Ferghana pour rejoindre le Kirghizstan, c’est affronter la haute montagne et sept cols entre 3000m et 5000m. C’est passer d’une vallée luxuriante que se partagent Ouzbékistan, Kirghizstan et Tadjikistan et autant d’ethnies différentes sur une vaste cuvette, au plateau lunaire du Pamir à près de 4000m de moyenne. C’est un peu l’épreuve de feu pour l’expédition. Si nous passons les Pamirs, alors le monde des possibles est à nous. Si nous sortons des ornières et des glissements de terrain, si nous remontons les lits des cascades et que Kubi tient, alors cette expédition prendra son sens le plus fou, le plus haut, le plus nomade. Alors nous serons pardonnés d’avoir eu l’audace ou l’imprudence de partir avec un J5 proche des 200 000km et vieux de 16 ans. Alors je me consolerai d’avoir confié à Maï-Loan la responsabilité des affaires mécaniques.
Encore dans la vallée, nous profitons pleinement de la chaleur moite qui peine à s’élever, de la fragilité des coquelicots qui colorent les champs et des abricots par milliers que des familles entières récoltent à longueur de journée. On les voit qui s’installent au pied des arbres fruitiers sur leur tapchan, le temps de la récolte, avec de grandes verges pour en secouer les branches.
En arrivant au Tadjikistan, nous quittons une route de la soie fréquentée pour rejoindre ce que les Pamiris appellent, comme tous les peuples d’altitude d’ailleurs, Bam-i-Dunya, « le toit du monde ». Déjà un premier col à 3378m dont l’ascension dure une éternité. Kubilai peine, crache de l’eau en ébullition et nous avançons au rythme des 38 tonnes, dépassant à peine 10km à l’heure. Nous nous arrêtons près de 3 fois dans l’ascension pour laisser Kubi respirer. Nous ne sommes pas loin de la surchauffe. La nature est belle, anonyme et violente, les montagnes démesurées, les parois tranchantes. Au col, on goûte à la puissance du regard qui embrasse l’immensité. Humilité, voilà ce qui reste dans la bouche. D’autant que ce col d’Anzob est fermé pendant l’hiver, comme la majorité du pays et la région autonome du Gorno Badakhchan dont nous approchons petit à petit, quasi inaccessible pendant 9 mois de l’année.
À ces altitudes, on trouve encore des lacs, celui d’Iskander à 2200m. On y reste quelques jours histoire de se laver dans une eau, pure comme un glacier, froide comme de la glace, si bien que Mai-loan après un shampoing trop arrosé manque de s’évanouir. On y reste aussi le temps de traîner sur les bords des deux datchas* du président tadjik Emomali Rakhmonov et de se faire bouffer par des moustiques dont les piqûres anesthésient les plaies et laissent des cicatrices sur nos corps. La coupe du monde vient de commencer et sans télé, on me répète inlassablement le score du match d’ouverture. La France joue dans quelques jours. Il faut penser à redescendre.
Dushanbé la capitale. Le 17ème pays le plus pauvre de la planète et un centre ville joliment bitumé, quelques restos et des magasins ponctuellement approvisionnés. Sur l’axe principal, des policiers tous les 20 mètres. A 1000$ l’année pour rester en poste sur l’avenue, il faut savoir rentabiliser. On voit d’ailleurs les gros 4x4 et les mercos ralentir imprudemment dès qu’un piéton pose le pied sur un passage clouté. La peur d’un prétexte pour se faire taxer sans doute. Avec nous, les policiers sont amusés et intrigués, jamais obstinés, même quand on traverse une double ligne blanche pour faire demi-tour.
Dans la ville, aucune trace visible de la guerre civile qui a pourtant fait près de 60 000 morts en 5 ans et plus d’un demi million de réfugiés. Aucun témoignage non plus, aucun ressentiment exprimé. Rien à voir avec les mémoires hantées du Kosovo. La ville nous sert de camp de base pour nous faire enregistrer et obtenir nos permis pour le Pamir.
A Dushanbé, nous sommes encadrés par le monde des ONG. On ne fait pas de business au Tadjikistan, on est soit militaire en appui des mirages qui survolent l’Afghanistan, soit volontaires pour Acted, la Croix Rouge, l’OSCE, la Fondation Aga Khan, Action contre la faim, Pharmaciens Sans Frontières, Médecins Sans Frontières, Peace Corps, World Food Program, le Haut Comité aux Réfugiés, dont les Land Cruiser ultra équipées narguent Kubilai... On rencontre ainsi beaucoup de jeunes volontaires qui prêtent leur énergie pour des missions humanitaires de premiers secours mais plus généralement dans cette région, pour des missions de développement. Entre deux match de foot sur grands écrans, je découvre un milieu excessivement compétitif. Certains me tueraient, d’autres m’en féliciteraient, mais ce métier, cette industrie, me donne le sentiment d’être proche de ce qui se fait dans le privé. Identifier des marchés et des zones d’intervention, initier des appels d’offre et les gagner, faire la pute auprès des bailleurs de fond et des autorités, gérer un turnover hallucinant, attirer les meilleurs talents… Les budgets sont généralement colossaux, les frais de fonctionnement dans certaines ONG notamment onusienne indécents, les incohérences, les fraudeurs qu’on est censés pourtant aider, la dépendance créée chez les populations… Je découvre un métier difficile, des gens bien jeunes mais motivés et très souvent passionnants pour le regard qu’ils portent sur un monde qu’ils ont quand même largement arpenté pour la plupart.
La France peine à convaincre en ce début de coupe du monde et je me refuse à brûler ce que j’ai adoré. Pour des histoires de visa, nous sommes obligés de nous frotter au Pamir sans attendre cet hypothétique match référence. Nous partons après le match contre la Corée, après avoir réalisé un atelier photos avec les enfants des rues du Centre Kareen Mane.
On nous avait conseillé de filer sur le sud avant de prendre plein est pour rejoindre le plateau des Pamirs. Et même si cette route nous rallonge de quelques 150km, nous filons sur un ruban de bitume, tout propre, tout neuf , tout noir jusqu’à Kuliab. Nous apprendrons que le Président est en réalité originaire de cette région et que cela vaut bien quelques avantages pour la province. On y découvre les préparatifs d’une manifestation visant à célébrer les 2700 ans d’existence de la ville, une pratique toute centre-asiatique visant à asseoir l’identité d’un tout jeune pays. La France bat le Togo 2-0 en marchant sur le terrain. Je suis inquiet.
En poursuivant, la route n’en a plus que le nom. Nous suivons plutôt les lits des rivières et Kubi se bat avec des ornières plus grosses que lui, des bouts de rochers tombés, des caillasses charriées par les cours d’eau et les chutes des glaciers. Alors qu’on passe un gué profond, puissant et au bord d’un précipice, je m’engage mal, trop vite, trop près du gouffre, prends peur, réaccélère et Kubi fracasse son nez sur un mur d’eau plus dur que lui. On passe mais pas sans dégât. Le ventilateur est mort, le moteur et le circuit électrique HS et deux pales de cassés. Coup dur ! Kubi n’aime pas la chaleur et la haute montagne les radiateur abîmé. Il faut continuer ; ce n’est pas ici qu’on pourra trouver de l’aide. Plus loin, c’est un minot en tenue militaire, des bottes trop grandes pour lui mais une kalach’ à la main qui nous arrête. Son chef insiste lourdement pour qu’on le convoie. En général, ces passagers armés facilitent le passage des checkpoints. Rapidement il remarque les fenêtres grandes ouvertes et le chauffage qui marche à fond malgré les 35°C dehors. Et moi de lui expliquer que c’est désormais le seul moyen pour refroidir le moteur. Alors il prend les choses en main et au milieu de nulle part va nous chercher un master** qui répare notre second ventilo, HS depuis notre départ de Paris. Il nous suffira d’ouvrir le capot et de coller le fil électrique sur la batterie. Bricolage efficace qui nous conduit jusqu’au pied des Pamirs puisque nous arrivons à Khorog non sans exploser un stabilisateur à l’entrée de la ville.
Recharge de diesel dans des bidons d’huiles de 20l trouvé au bazar et qu’on entasse dans le cockpit de Kubi, recharge d’eau potable, de cash, lipiochka***, nouilles, concombres, fruits et snickers. On profite du dernier bazar avant Murghab pour être autonome. On alpague des mécanos de l’Aga Khan foundation pour les enjoindre à nous trouver un ventilateur de Lada Niva d’occasion. L’idée est de faire du vent sur le moteur. En attendant, nous décidons de longer la démente rivière Pyanj dans la vallée de Wakhan. En face, sur près de 600 km, l’Afghanistan, ses chemins escarpés à flanc de montagne, ses ânes, ses villages de terre sans électricité, ses ombres en burka ou en kawarchemise, la chemise ample portée jusqu’aux genoux. Sur le bord de la route, des panneaux explicites jaune et rouge. Le pictogramme d’une jambe explosée pour indiquer les zones minées. On dit qu’au Tadjikistan, près de 25000 km2 seraient minés, soit 17% du pays. A Dushanbé, nombreux sont ceux qui nous ont dit ne pas plaisanter avec ces avertissements. L’adjudant-chef Gilles Sarrazin, militaire français en service auprès de FSD, la Fondation Suisse de Déminage, est mort en tentant de neutraliser une mine dans le coin il y a quelques mois. Quelques Km plus loin, nous croisons une équipe en combinaison... De loin on dirait des apiculteurs casqué et grillagé comme à l’escrime. Leur terrain est quadrillé à la manière des jardinières mais ils se déplacent comme des félins, ustensiles à la main.
Le chemin est désert. On ne croise que la poussière. Pas de voiture. Kubi se mue en taxi. Militaires, jeunes gamins morveux, familles trop chargées, grand père à demi aveugle, nous les embarquons tous à l’arrière. Il se dégage parfois de l’intérieur, l’odeur fétide de ceux qui couchent avec leur bête.
Le lendemain soir, un gars de la milice des frontières nous déloge en pleine nuit, alors qu’on stationnait en face de l’Afghanistan. L’endroit, de toute beauté, donne sur une coulée verte, avalée par la pierre et la montagne. Une oasis afghane, en face du Pyanj. Des feux au crépuscule dansaient comme des lutins joyeux, alors que nous prenions une douche de fortune, nus sous un ciel étoilé. « Granitsa, Granitsa**** » en mimant un barbu qui tire sur le camion. Il insiste trop lourdement, nous demande même d’attendre un convoi militaire pour redescendre, mais fatigués, nous décidons de retourner au dernier checkpoint et d’avoir la paix. Une fois en bas, je décide de prendre quelques informations auprès des policiers en faction. Je sors de Kubi et sens une lourdeur sur les cheveux, me passe la main et me tombe sur le bras une chose décidément trop lourde pour n’être qu’un papillon de nuit. La chose tombe à terre et file. J’approche ma frontale. Le milicien saute dessus et l’écrase rageusement. Il se tourne vers moi et me dit un poil effrayé : « scorpion, problem ! », me demande s’il m’a piqué. En peu retourné, je pars me coucher.
En remontant la vallée de Wakhan, le moteur s’emballe, la température s’affole, et le radiateur nous rend 5l sur la terre. Un trou de la taille du poing d’un enfant. Le genre de problème à éviter car difficile à réparer sans assistance. Naturellement à part un vélo et des vaches épars, rien de précieux qui pointe son nez. Et puis une jeep, un uaz qu’on appelle bénédiction. 3 hommes, 3 heures, le nez dans le moteur et des passagers qui ne mouftent pas. Un diagnostic qui revient souvent : « problem circulation, problem thermostat. » Tout cela ne nous aide pas beaucoup mais nous rassure. Qualifier, c’est un peu réparer. Après 3 heures à palper les tuyaux et démonter les cerflex, les bonshommes prétendent ne rien pouvoir faire. Ils nous mettent néanmoins dans les bras d’autres hommes de bonne volonté, et d’un autre master proche de la 60taine. Lui c’est la tête, son fils de 30 ans, les jambes ! Il indique et son fils bricole. Il sort le thermostat du moteur et me demande de le jeter. Plus tôt dans la matinée, une grosse pièce métallique autour de la roue arrière s’était aussi détachée dans un vacarme effrayant. Nous décidons aussi de nous en débarrasser. On remonte le reste des pièces mais 2km de montée colossale ont raison du radiateur. Ébullition, fumée, panique. Rebelote, de nuit cette fois, avec frontale et projecteur. Il décide d’inverser les ventilateurs, le HS à la place de celui qui tremble. Bingo, nous poursuivons l’ascension sans encombre et déposons un grand père aux sources brûlantes de Bibi Fatima. Premier bain souffré depuis une éternité au petit matin. Ici les hommes sont secs et aussi épais que moi. Rien à voir avec les Ukrainiens des bains de Kiev tankés comme des armoires.
Ceci dit, il est trop risqué de poursuivre sur cette vallée d’autant que le dernier col est, d’après un couple d’Allemands, impossible à franchir en voiture, même pour leur Land Cruiser ultra-équipée. On retourne donc au pied du plateau, à Khorog. La route est toujours aussi fantomatique mais des femmes en profitent pour laver leurs tapis. C’est le nettoyage de printemps à grandes eaux. Nous croisons quelques malheureux touristes en vélo à l’appétit de vie proportionnel à leur bonheur de manger les frites que Maï-loan leur fait, au milieu de nulle part.
De nouveau à Khorog, on retrouve nos mécanos de la fondation Aga Khan qui ont trouvé, non sans mal, un vieux ventilateur de Lada Niva. Provisions, diesel fumeux, bazar. On prend cette fois la route du nord, la mythique M41, l’autoroute des Pamirs, construite dans les années 30 par les ingénieurs soviétiques. 2000 mètres d’amplitude en près de 70 km, un col à 4272m, un autre à 4664m avec un paysage qui n’en est plus un. Un plateau, une mer de caillasse et de poussière. Au loin, sur tous les points cardinaux, des monts acérés comme des mâchoires de carnassiers qui nous offre, en couleurs, toute la palette géologique : terre de sienne, vert terre, ambre, gris cendré, sable, marron d’écorce, reflets bleus, rouges ou dorés. L’inclinaison du soleil invite à la contemplation et inspire la poésie. Kubilai, avec ses deux poumons, fait le fier mais crache une fumée noire qui révèle des traces de kérosène. Le diesel des Pamirs est coupé. A ces altitudes, il consomme plus et peine à se réveiller. Pas de puissance avant 5 bonnes minutes de préchauffage. A la différence de Kubi, Maï-Loan peine à ces altitudes. On croise encore moins de vie que dans la vallée de Wakhan. Alors que le Gorno-Badakhshan occupe près de 45% du pays, seule 3,3% de la population vit dans ces hautes montagnes.
On arrive enfin à Murghab, 3600m d’altitude et un village de désolation. Les maisons sont blanchies, leurs toits plats surmontés de quelques paraboles et les fils qui pendouillent laissent croire aux gens de passage que les habitants ont l’électricité. Pourtant la nuit anonyme enveloppe le village et le vacarme des générateurs rappelle qu’ici, perdu dans les montagnes pamiris, on n’a que la lune et le ciel pour s’éclairer. L’eau est rare. Un filet coule des montagnes mais seulement quelques mois de l’année. Aucune culture à cette altitude. Quelques puits desquels les femmes tirent des sceaux d’eau légèrement salée. Il fait chaud. Le soleil abîme les visages et usent les pierres. Le plus souvent, les femmes se couvrent le visage d’un foulard coloré pour se protéger de la poussière. Une armée qui courbe l’échine pour éviter les tempêtes. La poussière ronge tout, assèche tout et le village se vide quand se lève un nuage tourbillonnant. Même les chiens s’ébrouent pour se débarrasser d’une poussière qui sable leur pelage. L’hiver, les organismes affrontent des températures sibériennes. En 2001, les habitants de ce village perdu ont essuyé –58°C. Cette hostilité marque les visages, craquelle les joues des enfants qui portent tous un chapeau de feutre ou une casquette pour se protéger.
La région est inhospitalière au possible. L’hiver, les routes sont coupées, les glissements de terrain fréquents et on apprend que 3 jours après notre arrivée la route est de nouveau bloquée un peu plus bas. Allez expliquer ça au KGB quand votre visa expire. Le bazar est à l’image du village, poussiéreux, étroit, cabossé, rafistolé. Les magasins sont des cahutes de métal, comme de petits containers, dans lesquels on vend trois fois rien et à des prix tout juste plus élevés qu’à Dushanbé. Car ici on ne produit rien, rien ne pousse car le sol est gelé la plupart de l’année. Sauf des arbustes, du teresken, la seule plante qui pousse naturellement à ces altitudes et qu’on utilise pour se chauffer et pour faire cuire lipiochka et dîner. Des traces blanches sur les pierres rappellent la présence de sel. « Petite, mon grand-père me disait qu’avant, il y avait la mer ici. Mais personne ne sait en fait » nous dit Zarina, aux yeux clairs comme du sable salé. Autrefois, les russes subventionnaient la région en échange des quelques bêtes qu’on pouvait marchander. Les familles avaient l’électricité, du charbon pour se chauffer. Aujourd’hui il faut tout importer d’Osh au Kirghizstan, à une grosse journée de route. Même pour l’essence. Il faut tout remonter. Cela dit, le village est peuplé. On voit des enfants courir un peu partout et jouer avec trois fois rien. On croise des jeunes Pamiris qui parlent shughini ou un autre dialecte du Pamir, et plus rond, plus foncé, plus bridé, des jeunes Kirghizes à la peau craquelée. Les deux communautés vivent ici dans la plus grande indifférence. Depuis 91 et la chute du régime soviétique, il y a deux classes à l’école, une par communauté. Alors on s’ignore. On ne s’entre-aide pas non plus. On ne cumule pas ses richesses pour commander en plus grosse quantité. Chacun achète son petit charbon, ses petites denrées, sans mutualiser. Un peu comme dans cette France rurale qui, après avoir fané et moissonné en voisins, s’en retourne chacun chez soi devant sa petite télé. Je claque quelques photos, exclusivement en argentique, diapo 50 asa. Difficile de déboucher des visages que tout le monde protège du soleil. Nous sommes samedi, ce soir la France défie le Brésil. Non sans mal, on se retrouve dans une petite pièce du MSDSP (Mountain Societies Development Support Program), une télé en noir et blanc, avec l’angoisse que les militaires russes coupent la transmission. Les militaires aiment le foot, du moins tache-t-on de s’en persuader.
Sur le flanc d’une montagne, une inscription à la pierre blanche, visible au plus profond de la vallée : « Welcome our Iman xx ». Dans les Pamirs, on est Ismaélites, une branche de l’Islam chiite dont le leader spirituel est l’Aga khan, un milliardaire chauve vénéré comme un prince pour son enseignement pacifique et les dons colossaux qu’il fait à la région. Chez nous, le bonhomme intrigue. Sa photo dans Paris Match, en prince oriental, assis sur une balance avec son poids en or aura laissé sceptiques certains lecteurs. Ici, il est vénéré pour ses paroles et la filiation qu’on lui reconnaît avec le Prophète Mohammed. Le guide spirituel des Ismaéliens est considéré comme le descendant d'Ali, que le Prophète avait choisi comme successeur, les imams investis d'une autorité spirituelle et d'une capacité d'interprétation du Coran. Il est fréquent que nos stoppeurs nous présentent des icônes de l’Aga Khan qui traînent en bonne place dans leur portefeuille. Et dans les maisons, les portraits du leader chauve font office de tableaux. Autrefois, posséder un portrait pouvait vous attirer des ennuis. Aujourd’hui on affiche sans complexe sa religion et sa fierté d’appartenir à cette confession.
On réalise un second atelier, après avoir montré patte blanche à la police et au KGB. Cette précaution ne nous empêchera pas de nous faire arrêter alors que nous tournions quelques plans du bazar. Le visa nous oblige à décoller et il nous reste quelques cols à franchir avant d’atteindre le Kirghizstan. Le paysage est toujours aussi lunaire mais les marmottes ont colonisé les bas côtés. On atteint Karakol, un lac salé à 4000m d’altitude. La lumière est indicible. Au dernier checkpoint, alors que je demande le score de France-Portugal, le douanier me fait comprendre, à force d’onomatopées, que c’en est fini de Zidane et d’Henry. Je suis dépité. Il cherche à me retenir, je ne l’écoute plus et refuse de revenir lui parler. Alors il vient à moi et pour se faire pardonner de cette mauvaise blague entreprend de me bourrer à la vodka. Il ne connaît pas le score. Je ne reprendrai pas le volant ce jour-là. C’est Maï-loan qui affrontera les 20km de « no man’s land », entre les frontières tadjikes et kirghizes, les pires qu’on ait jamais affrontés car entretenus par aucun pays. Nous sommes le 6 juillet, notre visa démarre le 7. Qu’importe, Zidane et les exploits français endorment des douaniers qui nous laissent entrer au Kirghizstan sans tampon.
* maison
** littéralement, maître, mais on appelle communément ainsi celui qui répare
*** pain en couronne doré saupoudré de graines de sésame
**** « frontière, frontière »
Bravo pour ce beau récit Tibo, ça fait rêver cette route dans les Pamirs, ces masters, ces stoppeurs, ces odeurs...
Tu dois donc être content d'avoir confié la mécanique à Mai. Si en plus, Mai te cuisine des frites sur une belle route de montagne avec des admirateurs de la grande boucle. Et que tu bois de la vodka avec des douaniers devant Zidane à la TV, ça se passe plutôt bien pour toi !
Blague à part, votre aventure est exceptionnelle !
Les vidéos nous rapprochent encore plus de vous...
A+
Damien
Rédigé par : Damien | 28 août 2006 à 15:03
j'ai en voiture avec ma soeur c'est tellel qui condusier soudain un pirre blanche est tombé sur le par brise je voudrait savopir c'est quoi merci
Rédigé par : benloucif | 15 septembre 2006 à 02:09
Superbe récit!!! Nous avons du quasiment nous croiser au Tadjikistan. Je retrouve dans vos photos et votre texte des visages et des sensations qui me rappellent mon voyage (trop court, malheureusement). Bonne fin de voyage!
Rédigé par : JT | 26 octobre 2006 à 15:33