Effleurée en son ouest extrême à Aktau au bord de la mer et aux portes du désert alors que nous débarquions du ferry depuis Bakou en Azerbaïdjan, nous décidons de retourner 4 mois plus tard en terre kazakhe. Kubilaï oublie le Karakalpakstan pour s’attaquer cette fois à l’univers des villes, du béton armé et du verre fumé. Almaty... Déja les premiers bouchons à l’approche de la ville. Un autre monde, même pour celui qui vient de Bishkek, la capitale Kirghize. Des 4x4 en pagaille, des Humer limousines, des Cayenne, des Lexus de luxe. Finies les petites jiguli* cahotantes, les volga* à l’élégance des grandes dames, les Moscovich* rouillées et chargées comme des bus publics. Partout, des buildings rutilants, des palissades de construction à tous les carrefours ; ici un complexe hôtelier, là un parking, là encore des résidences surveillées et mono formes. On rase, on perce des axes, on élargit, on creuse des trous, on coule du béton, on le renforce, on avale des échafaudages ; et des ouvriers ouzbeks par milliers -même si c’est interdit- travaillent d’arrache pied. Pousse alors un bâtiment propre, mi-moderne, mi-standard qui fait de la ville une cousine occidentalisée de ce qu’on peut voir en Asie. Bienvenue à Almaty !
Ceci dit, Almaty n’a pas le penchant superficiel des villes kitaïsées** qui, sans âme, se construisent trop vite, comme on joue à simcity*** sur son PC. Cette ville est furieuse, pleine et éclatante de prospérité, de vie, de trafics, de gaz et de pétrodollar. En fait, l’architecture ne rend rien du souffle et des poumons de cette citée ; une ville qui apprend très vite et qui ne copie pas. Qui fait sienne les standards internationaux de prospérité. Qui épouse la show-off attitude avec des résidences rococo et des plaques d’immatriculations achetées pour éviter les accidents**** ou les amendes. Qui affiche comme une fashion victim ses vitrines les plus hypes et ses bars les plus lounges. Une ville de créatrices, branchées sur fashion TV ; une ville qui danse et qui nous traînera jusque dans les backstage des discos underground. Une ville où les Ferrari sont garées devant les discothèques, où les filles sont bien plus nombreuses que les mecs en soirée, où ces mêmes filles sont aussi peu farouches qu’elles sont à tomber. On se croirait parfois dans le très select de Londres ou de Milan, un petit côté nouveau riche en sus, comme lors de l’opening d’un magazine branché. Un défilé, une championne de danse du ventre et un actionnaire, tout juste 20 ans, dont meme le costard bien coupé peine à cacher un crâne rasé et des boutons d’acné. « Ce soir, le journal est gratuit. Profitez-en, amusez-vous ! Seulement demain, à vous de l’acheter ! »
« Les hommes Kazaks aiment deux choses en particuliers. Les 4x4 et les maîtresses » nous confie Ainur. Elle aurait pu aussi rajouter la viande de cheval et la vodka ! Olya quant à elle vole à Nokia sa plus belle signature. « Vodka, connecting people » et nous raconte qu’ici « on ne boit pas de vodka, on la mange ». L’argent n’est pas un problème pour ces jeunes branchés mais à 1 euro la bouteille, qui voudrait s’en priver. Quant aux maîtresses, on trouve sur Seyfullir des chambres et des appartements à louer à l’heure.
Almaty la nuit... Almaty le jour.... Derrière le verre, le strass et les dance floors, on retrouve nos petites babouchka au détour d’un quartier. Elles vendent 3-4 plantes qu’elles font pousser à la fenêtre, quelques tomates -pas trop- et des boites vides de pringles. Parfois seule au carrefour, parfois en compagnie de vieilles comme elle. Parfois, une main tendue aux abords des églises ou des bazars. On trouve des petits marchés, à moitié par terre, au coin des ruelles. Des cathédrales aussi d’où des chants russes s’élèvent jusque dans le parc où les vieux se défient aux échecs. La terre orthodoxe aime les chants polyphoniques et les saintes icônes.
On rencontre Olga, interprète, fixeur pour des équipes télé ou des boites de prod’ françaises, journaliste à ses heures. Elle tranche dans cette ville surexcitée. Elle a ce délicieux côté suranné, nous interviewe avec un dictaphone à bande et claque quelques clichés avec un Zenit hors d’âge. Argentique, bien sûr. Comment pourrait-il en être autrement ? Nous dînons de savoureuses galettes dans un intérieur soviétique. 3 pièces et une petite entrée de même taille standard ; du parquet large et usé tout du long, peint en vert, une grande bibliothèque et des dizaines et des dizaines d’icônes aux murs. La rencontre est forte. Nous parlons Yakoutie, chamanisme, reportage et origine de nos parents. Elle nous confiera une Vierge à l’enfant et un cierge à déposer sans faute au retour à l’Eglise Saint Séverin, à côté du boulevard Saint Michel. On ne remercie jamais assez de vivre ces instants de grâce.
Avec un territoire grand comme 6 fois la France, nous voulons nous évader sur les contreforts de l’Altai, cette chaîne mythique que se partagent la Chine, la Russie, la Mongolie et le Kazakhstan. Ça fait beaucoup de gens à contenter et autant de tracasseries pour pouvoir y circuler avec son propre véhicule. On actionne les influents, soupesons les options, locales ou régionales, l’état des routes et des marécages qui bordent le lac Balkash et nous partons finalement pour 2300km A/R et 5 jours devant nous. C’est un peu fou, mais c’est le prix pour organiser un atelier qui, encore une fois, vient à nous par de curieux hasard. C’est surtout le prix de la steppe, de la pierre, de la poussière kazakhe que nous voulons manger. C’est le prix pour approcher les forets sibériennes qui n’appellent que nous et que Kubi voudrait toucher avant l’hiver impossible à ces températures. C’est le prix pour effleurer des ethnies qui nous fascinent et qui appellent, déjà, d’autres projets d’expédition.
De fait, la route est longue ; les réveils bien avant le lever du soleil ; la steppe brûlante et par endroits en feu de broussailles ; les chaïkhanas***** crasseuses et la lumière hallucinante. Le ciel est en feu le soir ; et limpide, pastel, évanescent est son disque aux premières lueurs du jour. Arrivée à Oust Kamenogorsk et soudain, comme un charme qui se rompt. De la steppe et du ruban de bitume ne naît finalement qu’une ville comme les autres et qu’un énorme complexe industriel qui condamne la terre mais sauve certains de la misère. Nous sommes encore trop loin des monts Altai pour s’y sentir aspirés. Après l’atelier, nous nous enfonçons plus au nord encore, à Leninnogorsk. Les bords des routes sont colonisés par des plans de beuh. Ici le canabis pousse comme du chiendent et la floraison fait traîner dans l’air des effluves psychotropes. Les villages sont plus bas, les maisons faites de gros rondins de bois et de volets bleus. Partout une foret grasse d’épineux et des couleurs vives, celle des tabliers et des robes des babouchkas pour fleurir la vie des bûcherons. La cellule de Kubilai essuie de grosses égratignures car nous tentons l’impossible dans des forêts denses, boueuses et gorgées d’eau. Il crève peu après alors que nous avions renoncé. Pour la première fois en 27 000km en voulant se hisser sur un plateau surplombant une vallée de blé ! Il faudra penser à changer les pneus, ce que nous ferons en rentrant à Almaty. Il faudrait changer aussi le tuyau du radiateur qui, à force de secousses, s’est cassé la gaine sur un engrenage des courroies d’alternateur. Mais c’est toute la structure même de kubi qui flanche. Le silent bloc est troué comme un vieux pull mité et le pare-brise menace de tomber. En tremble depuis les Balkans, la structure du J5 et la cellule de Kubilaï menace de se désolidariser. Pour le moment, de gros ruban de scotch font l’affaire...
Retour à Almaty, le temps de se faire chouchouter par la belle-mère ukrainienne du cousin de Maï-Loan et de rencontrer une sommité artistique du pays. Nous aurions bien aimé comprendre en quoi la photo contribue à l’affirmation identitaire d’un pays aux peuples millénaires mais au pays si neuf puisqu’agé à peine de 15 ans depuis son indépendance. Le temps aussi de se faire interviewer par la chaîne TV Internews qui fait un reportage sur Step by Steppe, et on se sauve, avant l’approche des premières neiges, pour retrouver les apprentis pasteurs qui vivent à l’estive avec leurs troupeaux, à 3000m sur les hauts plateaux kirghizes.
* petites voitures du pékin de base qu’on retrouve dans tout l’ex URSS
** Kitaï = Chine ; l’essentiel des produits provenant de Chine sont excessivement bon marché, mais de piètre qualité
*** jeu video qui consiste à créer une ville sur ordinateur et à gérer son développement
**** immatriculation avec 777, chiffre faste
***** maison de thé sur les bords de route
Hello Thib et Mai,
Vous voilà à Almaty ! Et Kubi a l'air de rouler encore, bravo !
N'hésitez pas à contacter Bertrand.
A+
Damien
Rédigé par : Damien | 02 octobre 2006 à 10:17
Pas de compte mais très intéressée car nous sommes ccaristes et voulons ce printemps aller en Uzbekistan et retour en traversant la Caspienne depuis le Kazakstan vers Bakou.
Les bateaux prennent-ils les ccars?
Cordialement et merci de votre réponse
Hélène
Rédigé par : FENECH Hélène | 26 octobre 2006 à 07:08
Pas de compte mais très intéressée par ce récit. CCaristes nous irons en Uzbekistan ce printems 2007 et voulons au retour traverser la Caspienne depuis le Kazakstan vers l'Azebaïdjan.
Les bateaux prennent-ils les ccars.
Un lien peut-être pour joindre la (les) compagnie(s).
Merci de votre réponse
Cordialement - Hélène
Rédigé par : FENECH Hélène | 26 octobre 2006 à 07:14