L’Altaï. Le bout d’une aventure. Du moins la cible qu’on se promettait d’atteindre quand on nous demandait: “Jusqu’où irez-vous organiser des ateliers?” Il fallait bien se fixer un but au-delà duquel nous ferions demi-tour. Simple en apparence. Facile à localiser aux confins de la Chine, de la Mongolie, de la Russie et du Kazakhstan. Seulement pour y parvenir encore faut-il traverser 1100 km de steppes kazakhes et surtout obtenir le blanc-seing de l’Akhim* et des autorités de l’oblatz** pour donner des appareils photos et filmer dans une région sensible car limitrophe de pays tatillons. Nous aurons attendu plus d’une semaine, rencontré LA personne influente, transmis la présentation du projet en russe et on finit par nous dire, presque par hasard : « Vous n’êtes pas encore partis ? Tout est arrangé, Elena vous attend à la mairie d’Oust-Kamenogorsk dans 2 jours ! Soyez-y avant 15h, après elle part pour Almaty… »
Reste tout de même à avaler 1100km de steppes poussiéreuses. Lumière écrasante en journée, de feux en soirée et céleste aux premières lueurs du jour. Stop dans un petit village quand on n’y voit goutte ; réveil 4h du matin pour arriver à l’heure sur la place de la mairie. Pas le temps de se faire beau qu’une jeune femme en tailleur bleu, frappe au camion. Le moteur est encore chaud. Nous venons à peine d’arriver qu’elle est déjà là ! Elena nous fait monter dans son bureau. Au mur, Nazerbaev*** magnanime d’un côté ; sa femme entourée d’une ribambelle d’enfants éclatants de sourire de l’autre. Elena connaît Step by Step, un programme éducatif de Soros, elle découvre Step by Steppe et nous communiquons, avec nos rudiments de russe, à coups de crayon griffonnés sur un bloc de papier.
Dès lors, nous ne maîtrisons plus grand-chose. Elle nous envoie dans un camp de vacances à 25km de la ville. Le camp, situé près d’une rivière et entouré de montagnes, porte le nom d’un héros mort pendant la guerre pour protéger le pays du fascisme. 450 enfants de 7 à 18 ans vivent pendant 15 jours à Matrossovo, dans une sorte de complexe, avec baraquements, théâtre, réfectoire, parc et terrain de sport délabré. La population est à forte majorité russe comme tout le nord du Kazakhstan. Créé en 1950 à l’origine pour accueillir les fils d’ouvriers qui travaillent à l’usine URBAL, encore en activité et qui a très largement contribué à polluer la région et ses sous sols, le camp est désormais ouvert à tous, moyennant cependant quelques 20000 tengue**** pour 2 semaines soit l équivalent d’un pactole pour une famille de base.
Recommandé par les services de la Mairie, ce camp désormais privé, nous reçoit comme des invités de marque et nous nous retrouvons rapidement au milieu d’un banquet quand la lumière du dehors appelle pourtant quelques clichés. Les éducateurs du camp portent autour du cou un foulard vert qui rappelle étrangement les foulards rouges de l’époque soviétique. C’est l’effervescence au camp. Nous sommes à 3 jours de la fin des vacances, la dernière semaine de la saison et chaque groupe y va de son spectacle, de son sketch, de sa chorégraphie, de sa chanson sur l’estrade du théâtre plein à craquer.
Par groupe de deux, toutes citoyennetés confondues, les enfants shootent. Leurs photos leur ressemblent. On voit les filles poser comme dans les magazines. On se croirait à un concours de beauté. En groupe la plupart du temps, ils n’auront de cesse de se photographier mutuellement et de présenter leur quotidien : répétition du spectacle, grandes tablée à la cantine, sport, excursion, randonnée, atelier création. La vie d’un enfant, largement russifié, en camp de vacances en somme.
Le dernier soir, c’est la disco. Les filles se déhanchent comme Britney Spears et c’est à qui fera valser son nombril ou son bassin sur des mouvements lascifs et bien trop explicites pour leur âge. Les mecs, comme Eminem, ne bougent que leur main et dandinent de la tête en signe de protestation. Ils sont curieux, aiment leur pays et cherchent absolument à savoir ce que la France pense d’eux et ce que nous savons d’eux chez nous. Habitué à travailler avec des enfants isolés et défavorisés qui le plus souvent mettent dans leurs photos l’accent sur leur culture et leur tradition, nous découvrons ici des enfants de province soucieux de nous montrer la modernité de leur pays. Leur photos sont de fait moins puissante que celle d’un jeune paysan orphelin mais leur démarche pas moins réfléchie.
* le maire
** la province
*** Président du Kazakhstan depuis 1991
**** monnaie kazakhe
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