Sur le ferry qui fend la Caspienne, le capitaine nous prend sous son aile. Nous voir soupçonnés d’espionnage l’amuse beaucoup et il tient à singulariser son pays et son peuple des réflexes fumeux de son voisin turkmène. Dans le poste de pilotage, entre règle de Cras et table à carte, nous buvons le thé et devisons sur nos vies respectives : mariage, service militaire, religion, identité. L’homme est éduqué, a parcouru le monde, de Monaco à Madras, sur tous types de raffiots. Plus tard, dans sa cabine, sur une table crasseuse et graffitée au canif, un exemplaire de Realny Azerbaïdjan, l’un des 2 journaux d’opposition qui vient de fermer suite à la condamnation de leurs dirigeants. Le régime se durcit. Un poète contestataire se retrouve inculpé pour possession d’héroïne qu’on a probablement glissé dans sa poche lors de son arrestation.
Ce n’est pas la faute du Président assure notre ami mais le fait du ministre de l’Intérieur. Il est plutôt libéral, assez peu pratiquant et nous parle de la France, de l’Arménie et des députés français qui viennent de voter une loi pour condamner les propos qui nieraient le génocide. Son discours, assez mesuré néanmoins, glisse par moments quand il nous fait le remake d’Eve (« N’oublie pas qu’Aznavour était le chauffeur de Mireille Matthieu avant de devenir célèbre »), précise qu’Aznavour paie à lui seul la totalité de la facture électrique d’Erevan, ou invoque le terrorisme arménien pour justifier la présence militaire près des champs offshore sur la Caspienne. Cette loi a été assez sèchement accueillie par ici nous prévient-il ; les Turcs sont furieux. Nous posons le pied à Bakou avec cet avertissement largement relayé par des douaniers qui trouvent que la France marche sur la tête.
Effectivement Baku s’agite un peu. Non que nous soyons directement concernés ou impliqués mais on nous parle souvent du Parlement français avec une connaissance de nos institutions et des processus de ratification qui laissent sans voix. L’affaire est abondamment commentée et discutée dans la presse. On y raille volontiers le lobby arménien et on se demande encore comment un si petit pays, au réseau international bien étoffé, aura réussi à créer un bordel sans nom avec le monde turcophone. Devant l’ambassade, quelques étudiants pilotés viennent vociférer devant un bus de policiers stationnés pour l’occasion. Quelques tomates, des oeufs sur la façade ; rien de bien méchant. Suffisant pour les cameramen qui viendront filmer les coulées sur les murs. Ils se contenteront de ces natures mortes, faute de véritables mouvements protestataires, comme images pour le 20h.
Il pleut abondamment sur la ville et c’est une pluie grasse et épaisse qui souille voitures, chaussées, piétons et façades. Il pleut tant que de gigantesques champs de boue déversent leur fange jusque dans le centre ville. La ville est en chantier et les raccordements sauvages dégorgent leur pourriture aux pieds des vitrines de Zara et Mango. Le pare-brise de Kubi est maculé de taches de graisse et au matin de ces pluies diluviennes, on trouve des chiens et des chats crevés sur les bas cotés. Qu’en penserait Camus ?
La pluie nous laisse indifférents. Nous ne vivons plus dehors depuis que nous avons été recueillis par Valérie et Louis, dans un appartement aux volumes hallucinants donnant sur la Caspienne. On s’adapte bien vite au confort et à l’atmosphère douillette d’une maison d’autant qu’on s’y sent en famille. C’est l’occasion de se rappeler combien un bain est régénérant. L’eau est chaude, à profusion, en continu ; ces petites choses lavent autant le corps qu’elles pansent les frayeurs des derniers jours au Turkménistan. Et pour célébrer le retour dans le Caucase, on s’offre le brunch du Hyatt sur les conseils de l’ami Ranko pour abuser impunément de son caviar « à volonté », des tomates mozarella et des crêpes suzette.
Nous nous reposons et projetons d’organiser un atelier photos dans un centre d’enfants des rues, en plein Bakou. Mais on nous plante au bout de trois jours de conciliabules. « Nous avons eu le Ministère. Je suis désolé. Mais au vu des relations actuelles entre nos deux pays, il serait malvenu de travailler avec des français. Et même si nous sommes une association privée, nous ne voulons pas prendre de risque. On ne sait jamais comment les choses peuvent tourner. » L’ONG est financée essentiellement par Azercel, leader téléphonique, mais, prudents et avisés, ils savent combien il est facile de leur créer des problèmes. Nous décidons de prendre le maquis. Partons dans les montagnes ! Rapprochons-nous du Grand Caucase ! Avec fortune, ils seront moins regardants là-haut !
En quittant Bakou, nous quittons la pluie et retrouvons le feu des saisons. Il n’y a pas de moment plus propice au voyage, à la découverte du monde et des hommes, qu’avec une nature qui nous gratifie de ses plus belles parures. Les sens sont en alerte, les montagnes des brasiers, les noix sèchent, les châtaignes crépitent sur le feu, les hommes se préparent à l’hiver. L’automne nous fait la fête.
Longeant le Grand Caucase, nous nous enfonçons dans des villages de pierres et d’artisans. Là, ils travaillent le cuivre depuis des générations et le spectacle de ces ateliers hors du temps, avec soufflet à main et massue encore chaude, nous hypnotise. Ailleurs, c’est le bois qu’on travaille et qu’on sculpte. Plus loin, des peaux de bête qu’on tanne et dont on fait l’intérieur des toques en peaux. Partout, les montagnards investissent les forêts, un peu plus loin chaque année, et ils coupent des arbres qu’on retrouve chargés sur des ânes asphyxiés sous le poids des rondins. On les débite en bûchette, juste de la taille du poêle ; des enfants de six ans s’acharnent avec des haches trop lourdes sur des troncs encore humides. Les femmes font sécher noisettes, châtaignes, noix et préparent les gâteaux de fête, les bakhlavas. On s’apprête à célébrer la fin du ramadan, Ramazan Bayrami. Après, c’est une succession de mariages et de banquets. La montagne bruisse de sons chevauchants : concert de klaxons, accordéons, flûtes, guitares traditionnelles tar, toasts interminables et applaudissements.
A Qalaciq, ce sont des Lezghians qui nous ouvrent leur porte et leur coeur. A Kish, des Azerbaijanais. A Qar, des Avars. La plupart sont des peuples qui viennent du Daguestan voisin en Russie, réputés pour leur caractère, leur alliance avec les Tchétchènes et leurs manières de grands bandits quand autrefois ils descendaient des montagnes pour y kidnapper les femmes de la vallée et les revendre. Jamais ils ne nous auront laissés bivouaquer sans nous inviter.
Sur la route, le temps s’arrête ; et nous avec. On devient familier d’un endroit, d’un arbre 7 fois centenaire et d’un banc patiné. Les vieillards se réjouissent de nous voir, de nous revoir encore et de nous retrouver. Ils nous gavent de bakhlavas, nous servent au quotidien 10 litres de thé qu’il faut renverser dans sa coupelle pour ne pas se brûler. Vous n’êtes plus invité. On ne saigne plus la poule qu’on n’a pas et qu’on emprunte au voisin pour vous faire honneur. On mange des patates après le plov de Bayrami. On vit, simplement, comme eux, avec eux. Et c’est bien cela que ce voyage dans les montagnes, que ces rencontres avec les ethnies du Grand Caucase, auront laissé comme une empreinte : la vie, rien que la vie, dans toute sa simplicité.
Salut.Je suis Edoardo l'italo-français du mT Athos. Comment allez vous?J'ai visité votre site et je trouve le travail que vous faites tres intelligent et je suis sur qu'il vous portera quelque part..
Moi dimanche je retourne au mt Athos pour y passer un peut de temps.J'aimerais apprendre le grec ancien.Après j'aimerais aller enInde et en Chine.Si sa peut vous etre outile je peut vous envoyer au fur et a mesure des photos et des notes (ou seulement des photos.) Bon Voyage.Edoardo
Rédigé par : Edoardo | 12 janvier 2007 à 04:34
Super site
de belles photos et, j'imagine, une expérience inoubliable.
Nous aussi nous avons un projet de voyage autour de la Méditerranée pendant onze mois.
Si vous voulez en savoir plus allez sur
www.apetitspas-asso.fr
Rédigé par : a petits pas | 12 janvier 2007 à 07:07
Après un message de kim-Anh, je suis passée faire un tour sur votre blog dont je vais largement diffuser l'adresse.
L'initiative d'un labo photo itinérant à travers les steppes est vraiment intéressante et les reportages réalisés sont vraiment enrichissants.
Les commentaires des photos, vus par des yeux d'enfants m'ont fait sourire, et m'ont aussi émus.
Voilà un voyage sur la toile bien dépaysant et je vous en remercie
Rédigé par : Yulika MATSUNAGA | 19 janvier 2007 à 07:28