La lumière est magnifique. On ne se résout pas à quitter le grand Caucase quand l’automne enflamme les vallées et rosit les monts fraîchement enneigés. Il nous faut organiser un second atelier dans cette région. Non qu’il faille le faire mais parce que l’envie est là et que nous sommes comme hypnotisés. Armés de notre bonne volonté et d’une lettre de l’ambassade (cf), nous arrivons à Kish avec en main le nom d’un professeur de français. Sur la place du village, les vieux nous l’indiquent du doigt. C’est aujourd’hui dimanche et Gudrat marie son neveu : « Il a 35 ans et il se décide enfin à se marier. Mais c’est un bagarreur celui-là ! » Nous voilà prévenus. Il nous invite aussitôt chez lui : « mon hospitalité n’est pas négociable. Installez-vous chez moi. » Il vit avec une femme forte et austère, deux belles-filles effacées, deux fils qui, comme souvent par ici, font de l’argent en Russie et deux petits-enfants en bas age. Ambiance patriarcale !
L’école est flambant neuve. Sur les murs, des fresques naïves, très soviétiques, invitent les enfants à poursuivre en chantant le chemin des études. Non loin, un énorme poster du Président Ilham et de son père Heydar Aliev. L’école lui est totalement dédiée. Dans le hall, des photographies de sa vie, sa jeunesse et ses combats. L’homme, sur la fin de sa vie, est venu en visite au village admirer une église du Caucase albanais. Devant un auditoire lisse, muet et docile comme au bon vieux temps des soviets, il a simplement demandé ce dont le village avait besoin. L’histoire dit qu’un homme -un seul- le directeur, glorifié depuis pour cette intervention, s’est levé et a pris la parole : « Président, nous aurions besoin d’une nouvelle école. La nôtre prend l’eau. Elle n’est pas chauffée et dans ces conditions il est très difficile d’enseigner. » Ce jour-là, Heydar le leur avait promis. Mort entre temps, il n’aura pas eu le temps de voir les travaux achevés mais son fils, Président depuis, l’aura inauguré il y a 2 ans. On lui voue, depuis, un culte plus poussé encore que dans le reste du pays. C’est dire…
Le directeur de l’école du village n’est autre que le beau-frère de Gudrat. Nos lettres nous paraissent d’un coup superflues. Ici l’anglais est proscrit et le corps enseignant est truffé de professeurs de Français. On connaît Patricia Kaas, Zidane et Dumas, mieux que Shakespeare ou Beckham. Les enfants nous accueillent avec cette litanie, trop souvent répétée en classe et récitée en bloc : « Bonjour, ça va bien ? Merci ça va bien ! »
Nous ne choisissons que très rarement les enfants avec lesquels nous travaillons. Tout juste précisons qu’ils doivent avoir entre 10 et 16 ans et que nous aimerions autant de filles que de garçons. La seule règle qu’on leur demande de retenir :« think before shooting » et amuse-toi ! Mais on doit l’avouer, Junai, Shehla et Talier nous agacent. Ils reviennent d’une journée de shooting avec 15 malheureuses photos, ne savent pas quoi faire avec les appareils, osent à peine le manipuler. Ils sont trop lisses, trop sages, trop respectueux, pas assez excentriques ni agités. Bref, leurs clichés sont poussifs. On nous a sans doute confié les bons élèves et cela s’en ressent.
Nous avons du mal à les suivre. Après l’école, chacun retourne dans sa maison et le froid aidant, ils en sortent assez peu. Mais peu à peu, la magie s’installe et ils nous étonnent par l’intimité de leurs clichés. Une mariée au visage couvert d’un voile rouge, deux témoins avec une lampe pour éclairer le chemin qui les mène au bonheur et un miroir pour qu’ils s’aiment en toute franchise ; les musiciens du mariage qui picolent sous la tente ; le maréchal ferrant qui s’affaire sur des sabots ; un maître-cuivre qui plonge des louches dans son foyer de braise ; une vieille sans age qui ruine son épaule sous le poids de l’énorme cruche d’eau qu’elle remplit à la source… L’école aussi tient une place à part. Sans doute parce qu’elle est neuve et qu’ils en sont fiers : les classes, le tableau qu’on essuie à l’éponge en tissu, Aliev le président vénéré… et l’église albanaise du VIeme siècle. Au final et alors que nous doutions de la qualité de leurs clichés, ils nous auront bluffés.
Gudrat nous aide à déchiffrer leurs travaux. Il nous apprend aussi combien son destin est lié à la France. Ses opinons parfois nous déroutent : une culture éclectique mais des préjugés tenaces ; une ferveur religieuse indéniable mais un penchant pour la bouteille, une ouverture sur le monde mais un souci permanent du quand dira-t-on; et des positions limite sur la place de la femme, de ses filles et de ses belles-filles. Le bonhomme est plus soucieux et malheureux qu’il n’est mauvais. D’autant qu’il est attachant et qu’il a un phrasé indéniable. Son père, en phase terminale, fait partie de ces Caucasiens qui ont combattu le nazisme et contribué à la Libération. Décoré par De Gaulle, il est fait prisonnier en Allemagne. A son retour, il est déclaré « ennemi du peuple ». « Longtemps, j’ai vécu avec ceci, avec une étiquette, celle d’être le fils d’un ennemi du peuple » nous dira Gudrat entre deux toasts. Il ne réussira à sortir de cet enlisement idéologique qu’à force de respect et de coup d’éclats. Sa vie, comme un roman, est riche de 1000 anecdotes. Et dans ce tourbillon, il n’aura eu de cesse de nous aider à faire travailler les enfants et à les faire accoucher des vérités les plus profondes sur leur culture et leur quotidien. Il nous confiera également avec regret : « Nous avons beaucoup d’atouts en Azerbaijan, mais nous avons peu d’idées. » Ce que viendra confirmer à sa façon Rena Efendi, photographe récemment exposé à Perpignan et maintes fois primée, alors qu’on lui exposait les différentes missions photos des ateliers : « Et bien si vous me demandiez un symbole de ma culture, je crois que je répondrais l’apathie. Ne me restera plus qu’à trouver comment la rendre en image. »
Pour retrouver l'ensemble des photos des enfants : Atelier Kish
Je suis la plus que jamais et des maintanant je voulais bous souhaiter mes meilleurs voeux du pays du fish and chips. bises
Rédigé par : domi | 21 décembre 2006 à 06:55
Merci Dom.
Noel a Stambul, on s'offre ca pour rejoindre doucement la belle Europe.
Au fait t'es number one en com.
Love et be happy
ml
Rédigé par : ml | 23 décembre 2006 à 11:22