« Avec
quels enfants voulez-vous travailler ? Orphelins ? Enfants vivants
dans des abris de taules depuis le tremblement de terre ? Et si vous
travailliez avec une minorité du pays ? Il y a des villages Yezidis autour
du mont Aragatz ; ce sont les kurdes d’Arménie. Remarque, vous pourriez
aussi organiser un atelier avec les Molokans, des russes expulsés par Catherine
II. » Artur s’emballe. Il a 1000 idées et devant
tant d’enthousiasme et de diversité, nous sommes un peu déconcertés.
Habituellement Step by Steppe ne choisit pas franchement et travaille là où sa
route le conduit. Voici qu’en Arménie, à Vanadzor, le choix des possibles
s’ouvre à nous.
Artur est arménien, fondateur d’une ONG
locale visant à promouvoir les droits des citoyens et les droits de l’Homme.
Ils nous met en relation avec le centre Zangakatoun (littéralement « tour de la cloche ») financé par le
Tufenkian Charitable Fundation du nom
d’un milliardaire américain d’origine arménienne qui a fait fortune dans le
tapis. Le centre propose des activités créatives, chants, peintures, spectacle,
théâtre, marionnettes, cours d’ordinateur, offre des repas et suit socialement
des enfants vivant dans des wagons de tôles insalubres depuis le tremblement de
terre de 88 qui a ravagé la région de Lori.
On les appelle les Domiks ou « petites
maisons ». Elles n’ont de maison que le nom. Le plus souvent ce sont
de vieux wagons rafistolés, des cabanons de tôles récupérés çà et là, un
patchwork de carrés de ferrailles ajustés les uns aux autres pour éviter les courants
d’air et préserver son intimité. Au lendemain du terrible tremblement de terre
qui a terrassé la région, les habitants sans logement se sont installés sur des
terrains vagues dans des cabanons supposés provisoires. On en dénombre encore plus de 700 dans la ville, disséminés là où l’on
trouve de la place. Certains ont l’électricité car ingénieusement ils se
raccordés aux poteaux électriques de la ville mais aucun n’a l’eau courante.
Tous vivent dans des pièces chevauchantes, sans confort et à l’hygiène
douteuse.
Leurs photos montrent deux univers. Celui,
intime de leur famille et de leur domiks.
De l’usine désaffectée qu’on aperçoit sur le pas de sa porte ; des
toilettes insalubres qui virent du jaune à l’ocre à une coudée du lavabo,
lui-même sans tuyau. Elles montrent ces intérieurs étriqués, fait de bric et de
broc entassés ou rien n’est superflu, faute de place pour le ranger.
Goar se refuse à appeler son wagon un Domik.
Elle l’appelle sa « maison », rappelle que même vivant dans un
taudis, on peut se faire expulser quand l’Etat a besoin du terrain. Hanoosh est
si gênée d’avoir pris autant de photos de sa maison délabrée qu’elle peine à
sortir un mot. Tout juste consent-elle à nous dire qu’elle est bien ici,
qu’elle est née ici, que tous ses copains sont ici, et que si par bonheur elle
gagnait au loto, elle ne changerait pas d’endroit mais elle retaperait tout
pour en faire une vraie maison, une nouvelle maison. Leurs photos montrent
aussi le centre, les copains, les dessins, l’école et la cantine que l’on ne
quitte pas sans une prière expédiée sur le pas de la porte.
Quand on les interroge, les enfants sont
timides. Ils sont partagés. Partagés entre la honte de montrer tant
d’insalubrité, la joie de montrer son univers d’enfants heureux et épanoui et
l’espoir de voir tout cela changer. Ils sont tous nés ici ; tous leurs
amis sont ici. Aussi longtemps qu’ils s’en souviennent, leurs parents n’ont
jamais travaillé. Ce qui ne les empêche pas de nourrir les rêves les plus
fous : « je veux être
soldat » pour l’un ; « artiste
peintre, ou bien poète, je n’ai pas encore bien décidé » pour l’autre.
Au cours de cet atelier, une puce rend l’âme. Un appareil aussi. Il n’en reste
plus que 6 dont un avec l’écran LCD hors service. C’est la règle du jeu. Tant
qu’il en restera, tant que les enfants du monde voudront témoigner en photos et
avec leurs propres mots, nous poursuivrons la route. Quitte à les achever tous.
Là n’est pas l’essentiel.
Pour retrouver les photos des enfants : Atelier Vanadzor
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