Avec 95% d’Arméniens, le pays est quasi mono-ethnique.
Tout juste quelques Molokans, des Kurdes également qui vivent en communauté dans la région de Lori ou sur les flanc de l’Aragatz. Nous engageons Kubilai sans trop savoir ou poser notre imprimante.
Les villages Yézidis sont peu nombreux et Shamiram ne se révèle qu’après une bonne journée de route. La nuit est pleine et noire. Des chiens lamentables et vociférants se jettent sous les roues de Kubilai en guise de bienvenue.
Cet atelier photos est sans doute à ce jour le plus difficile qu’on ait connu. Difficile car nous avons du mal à nous faire accepter par le village et que pour la première fois on nous refuse l’hospitalité. C’est aussi la première fois qu’on arrive accompagnés de volontaires mais par deux fois, on nous conseille gentiment d’aller voir plus loin, qu’ici on n’a pas la place pour nous loger. Difficile aussi car les Arméniens que nous rencontrons ne comprennent pas notre démarche. « Faire un atelier photo ? A Shamiram ? Mais il n’y a rien là-bas ! » Ou bien comme ces deux professeurs de Français du village voisin qui, heureuses de nous aider, ne comprennent pas pourquoi nous avons décidé de travailler avec des Yézidis. « Mais pourquoi eux ? Ils ne sont pas des Arméniens ! »
Difficile ensuite car le personnel arménien de la petite école que nous sollicitons est fou, indifférent ou carrément intrusif -c’est au choix-, notamment lorsque nous essayons de comprendre, de la bouche des enfants, la substance de la culture Yézidis. Difficile enfin car Mraz, qui nous a finalement accueilli dans sa maison et offert une belle cuite à la vodka aura eu l’audace de débarquer en pleine nuit dans la chambrée pour tenter de se glisser sous les couvertures d’Emilie. D’ailleurs on ne le reverra plus les jours suivant. Comme disparu. Et sa mère et sa femme nous feront comprendre qu’elle ne peuvent décemment nous faire dormir ici en son absence. Une version qu’un de ses voisins viendra infirmer en nous voyant partir, de nuit, à la recherche d’un toit, et qui lâchera sans détour : Amott, amott ! autrement dit : « c’est la honte ! »
Ceci dit, cela n’enlève rien aux contacts que nous avons eu avec les enfants. Pour la première fois d’ailleurs on nous confie plus de filles que de garçons, ce qui soit dit en passant n’est pas toujours gage de qualité tant les adolescentes aiment poser et se prendre en photos plutôt que remplir leurs missions photos. Les garçons ne sont pas en reste avec une propension à consommer de la carte mémoire et à collectionner des clichés flous et baveux. Néanmoins, les enfants sont attachants, espiègles et Timur et Maxime nous adoptent rapidement.
Ils font un concours d’autoportraits, sellent une vieille jument et la cravachent, bride abattue, pour se prouver et nous montrer leur bravoure. Leurs photos révèlent également cette terre aride et glaciale qu’ils habitent, à la fertilité médiocre, sans un arbre alentour. Ils partagent les mêmes difficultés que les villages arméniens, leurs photos s’en ressentent, mais ne sont pas assimilés –quoique bien intégrés-, leur religion leur interdisant les mariages mixtes. Ils nous parlent aisément de leur culture Yézidis, symbolisée dans leur village par un cimetière sans croix et un petit autel qui rappelle par ses bas reliefs Lalesh, un temple qu’on trouve en Irak, leur terre d’origine devenue lieu de pèlerinage.
On y voit également Malak Tawus, une sorte de paon, symbole du démon, mais paradoxalement le démon le plus puissant et le meilleur des anges. C’est à lui que les Yézidis adressent leurs prières. Leur religion vénère le feu et le soleil. On les qualifie par erreur « d’adorateurs du diable » parce qu’ils considèrent que le diable, s’étant repenti de ses péchés devant Dieu, a été pardonné et est devenu le chef des anges.
Nous aurions aimé faire parler plus encore les enfants. Mais ce sont des enfants, et finalement ils nous auront donné l’essentiel, si ce n’est le meilleur, une énergie et une joie sans mesure.
Une aventure formidable, un travail de grande qualité!
Christophe Castillon
wildtrekker.com
Rédigé par : wildtrekker | 07 juin 2007 à 05:49